Muslim Law and the Pandemic

Ramadan.jpg

For the second year in a row, Muslims in Quebec are spending the month of Ramadan, mired in a pandemic with, for all practical purposes, closed mosques and severely curtailed gatherings. The intensity of these restrictions is doubly felt because apart from fasting and spirituality, Ramadan is also a time of sociability, conviviality and festivities.

From  time immemorial, humans had to face adversity; health scourges, wars and natural disasters. So, what exactly does Muslim law say in such situations, in this case the coronavirus? Here we notice that the usual rigor gives way to a surprising flexibility in times of crises. Muslim law is full of examples of taking into account unforeseen events in life.

Despite its eminently casuistic character, there are in the ancient corpus juris (fiqh) a number of “global rules” (kawaïd kulliyah) which reflect the underlying foundations of Islamic law. To adapt the law, one could legitimately invoke considerations of necessity (darura) or public utility (maslaha) and even common use (urf) or convenience (istihsân).

The Majjalah, codification of Muslim law according to the Hanafi School made under the Ottoman Empire in 1877, presents in its preliminary section ninety-nine (99) of these rules, qualified as "Fundamental Principles of Sacred Law". Let us content ourselves with sketching out a few, particularly relating to the flexibilities required in these turbulent times.

The first rule, that of Article 17, seems to encompass everything else: "Difficulty breeds ease. In other words, the need to remedy an embarrassing  situation is a legitimate reason to take, for this purpose, measures to resolve the difficulties and to be tolerant […]. ". Article 18 provides in the same direction that “Latitude should be afforded in the case of difficulty, that is to say, upon the appearance of hardship in any particular matter, latitude and indulgence must be shown”.

The very flexible notion of darura (necessity) which Muslim jurisconsults have used extensively in all matters makes it possible to justify wide deviations from the legal status without violating fundamental principles or distorting their spirit. The Majjalah establishes it as a principle derogating from Article 21 according to which "necessity makes lawful what is prohibited", or "necessity makes law", as we say today.

In addition, in these times of pandemic, the principle of proportionality and the requirement to balance the various conflicting rights are in order. Two texts of the Majjalah (art. 26 and 27) allow us to reason in this direction: “We must prefer private damage to public damage”; "You can repair a considerable damage by a less important damage".

Certainly, the confinement and the curtailing of social and economic life cause significant damage, but this damage should be borne to prevent even more serious damage, that affecting the life, health and physical integrity of people.

Moreover, "The power of any authority is based on general utility", teaches us article 58 of the Code. While such a provision is likely to legitimize the coercive measures taken by the public authorities to remedy the crisis, there is a great fear that they could be used to permanently infringe rights and freedoms.

Here again the global Shariah rules could be invoked to impose guidelines and prevent abuse: "What the law allows because of a specific reason, ceases to be allowed once that reason has disappeared" ( art. 23); and "When the obstacle to the exercise of a right disappears, it resumes its force" (art. 24). Restrictions must therefore be lifted as soon as the pandemic is contained: "the damage must be avoided as much as possible" and "the need must be assessed at its fair value" respectively recommend Articles 31 and 22 of the Majjalah.

Ultimately, government measures to limit the spread of the pandemic are consistent with the flexibility inherent in these comprehensive Shariah rules, which allows believing Muslims to follow health guidelines without fear of strawing from their religious practices, whether during or outside of Ramadan.

In his article published in Lex-Electronica, 2020, 25-4, 99-103*, Harith Al-Dabbagh, associate professor, at the Faculty of Law of the University of Montreal explains that the restrictions imposed on Muslims during Ramadan are fully justifiable on a rigorous religious basis and not only as a civic obligation.

CORONAVIRUS ET … DROIT MUSULMAN !

Harith Al-Dabbagh1

Il va sans dire que la maladie à coronavirus a frappé le monde entier. La COVID-19 s’est propagée à une vitesse inouïe dans les quatre coins de la planète. Le monde musulman n’y est pas resté étranger. Des mesures de confinement ont été imposées partout pour restreindre les déplacements, les rassemblements et les réunions publiques. Mosquées et lieux de cultes de différentes religions ont été fermés et les fidèles ont été invités à prier chez eux et à accomplir les autres rituels individuellement. L’intensité de ces mesures a été ressentie doublement d’autant plus qu’au moment où ces lignes sont tracées, elles coïncident avec le début du mois de Ramadan, mois de jeûne, de spiritualité et de solidarité très respecté en terre d’Islam. Dans la majorité des cas, les instances religieuses ont obtempéré et ordonné à leurs adeptes de rester à la maison, rompre le jeûne et prier chez eux. Le paiement de l’aumône (zakat) et les œuvres de charité, hautement valorisés ces jours-ci, ont été aménagés de manière plus discrète pour prévenir la propagation. Les cafés, restaurants et espaces publics, habituellement très achalandés et festifs le soir après la rupture du jeûne, sont restés vides.

De l’Indonésie au Maroc en passant par le Pakistan et l’Égypte, le message de santé publique semble généralement bien reçu. Ce qui a facilité les choses, c’est que dans l’orthodoxie islamique, il n’y a point d’église, point de sacerdoce (Al-Dabbagh, 2017). La relation entre le croyant et Dieu est directe et s’exerce sans intermédiaire, ce qui permet la pratique individuelle en toute intimité. Toutefois, des voix dissonantes se sont élevées ça et là pour réclamer la fin du confinement pendant le mois sacré et le libre exercice du culte en communauté. La loi d’Allah a préséance sur celle des hommes, avance-t-on. Certains religieux, plus farfelus, ont appelé les fidèles à braver l’interdiction et à venir se recueillir en communion, car un bon fidèle, prétendent-ils, est immunisé contre ce fléau et un malade pourra, en ce faisant, retrouver la guérison ! Mais, que dit exactement le droit musulman du coronavirus ? 1 Professeur agrégé , Faculté de droit, Université de Montréal Lex-Electronica.org n°25-4 2020 Dossier Spécial Harith Al-Dabbagh Coronavirus et … Droit musulman ! 99 100

Il est certain que les crises sanitaires, comme par ailleurs les guerres et les catastrophes naturelles, ne sont pas chose nouvelle dans l’histoire de l’humanité. De tout temps, l’humain a dû affronter l’adversité. La fameuse « immutabilité » du droit musulman pourrait laisser penser que la Charia, Loi de Dieu, ne saurait subir d’entorses (Linant De Bellefonds, 1955). Toutefois, la rigueur habituelle cède ici la place à une surprenante souplesse en temps de crise. Le droit musulman regorge d’exemples de prise en compte des événements imprévus de la vie. Pour faire fléchir la règle de droit, on invoquera d'autant plus aisément des considérations de nécessité (darura) ou d'utilité publique (maslaha) et même l'usage courant (urf) ou la convenance (istihsân).

En dépit de son caractère éminemment casuistique, il existe dans le corpus juris ancien (fiqh) un certain nombre de « règles globales » (kawaïd kulliyah) qui reflètent les fondements sous-jacents à la loi islamique. Elles tiennent lieu des principes directeurs à portée générale qui s’appliquent à toutes les questions particulières qui s’y rattachent (Jahel, 2003). Le medjellé, codification du droit musulman selon l’école hanéfite faite sous l’Empire Ottoman en 1877, referme dans sa section préliminaire quatrevingt-dix-neuf (99) de ces règles, qualifiées de « Principes fondamentaux du Droit sacré » (Young, 1905). Contentons-nous d’en esquisser quelquesunes, ayant particulièrement trait aux assouplissements requis en ces temps mouvementés. La première règle, celle de l’article 17, semble irradier sur tout le reste : « La difficulté provoque la facilité. En d’autres termes, la nécessité de remédier à une situation embarrassée est un motif légitime pour prendre, dans ce but, des mesures propres à résoudre les difficultés et pour se montrer tolérant […]. Les atténuations et tempéraments apportés par les jurisconsultes à la rigueur de la loi en découlent également ». L’article 18 abonde dans le même sens en précisant qu’« Il faut se montrer large dans l’application des règles aux choses dont l’exécution est difficile. Autrement dit, lorsqu’on voit de la difficulté dans l’exécution d’une chose, on peut avoir recours à des tempéraments ».

La notion très souple de darura (nécessité) dont les jurisconsultes musulmans ont abondamment usé en toute matière permet de justifier de larges entorses au statut légal sans enfreindre pour autant les principes fondamentaux ni en déformer l'esprit. Le medjellé l’érige en principe dérogatoire à l’article 21 selon lequel « la nécessité rend licite ce qui est prohibé », ou « la nécessité fait loi », comme nous disons Lex-Electronica.org n°25-4 2020 Dossier Spécial Harith Al-Dabbagh Coronavirus et … Droit musulman ! 100 101 aujourd’hui. Ainsi, sur le plan de l’exercice du culte, puisque la difficulté (mashakka) appelle la facilité, on permet à un musulman souffrant ou en long voyage, d’être dispensé de l’obligation de jeûner pendant le mois sacré et de compenser cela par un don de bienfaisance versé aux indigents (Al-Doulaimi, 2018). Dans le domaine des transactions pécuniaires, l’interdiction de prise d’intérêt, relevant de l’usure (riba) prohibée par la Charia, est tempérée par un mécanisme qui lui sert de substitut en cas de nécessité. La vente à réméré permet, dans les faits, de dissimuler le prêt à intérêts sous le couvert d'une vente simulée à un pseudo-prix incluant ce qui représente la rémunération du prêt (Cardahi, 1955). Le medjellé ne répugne pas à l’admettre expressément à l’article 32 : « Ce qui est exigé pour la satisfaction d’un besoin public ou privé est admis comme une nécessité légitime. C’est en vertu de ce principe qu’on a permis la vente à réméré. Cette espèce de vente a été admise pour la première fois en Boukhara [région musulmane de l’Asie Mineure, aujourd’hui située en Ouzbékistan] où le grand accroissement des dettes de la population l’avait rendue nécessaire ».

En ces temps de pandémie, le principe de proportionnalité et l’exigence de mise en balance des différents droits en conflit sont de mise. Deux textes du medjellé (art. 26 et 27) permettent de raisonner en ce sens : « On doit préférer le dommage privé au dommage public » ; « On peut réparer un dommage considérable par un dommage moins important ». Certes, le confinement et la mise en veilleuse de la vie sociale et économique engendrent un dommage important, mais ce dommage devrait être supporté pour prévenir un dommage encore plus grave, celui portant sur la vie, la santé et l’intégrité physique des personnes. N’est-ce pas là l’expression de cet adage de sagesse populaire : « De deux maux on choisit le moindre », qu’énonce expressément l’article 29 du medjellé en vue de résoudre un conflit d’intérêts ?

Au demeurant, on peut convenir avec l’article 30 que « La préservation d’un mal est préférable à la réalisation d’un profit ». Toutefois, l’article 33 nous apprend que « Le besoin, quelque grand qu’il soit, n’anéantit pas le droit d’autrui. Ainsi, celui qui, poussé par la faim, mange le pain d’autrui est tenu d’en payer ensuite la valeur ». Une telle règle pourrait fonder l’obligation de l’État d’indemniser toute personne ayant subi un préjudice en raison des mesures de confinement et de l’impossibilité de travailler qui en découle. Il est aussi bien « défendu de causer un dommage que Lex-Electronica.org n°25-4 2020 Dossier Spécial Harith Al-Dabbagh Coronavirus et … Droit musulman ! 101 102 d’y répondre par un autre dommage », énonce l’article 19 du Code ottoman. «

Le pouvoir de toute autorité est fondé sur l’utilité générale », nous enseigne par ailleurs l’article 58 du medjellé. Si une telle disposition est de nature à légitimer les mesures de contrainte prises par les pouvoirs publics pour remédier à la crise, la crainte est grande que celles-ci puissent être utilisées pour brimer de manière permanente les droits et libertés. Ici encore les règles globales de la Charia semblent pouvoir être invoquées pour imposer des balises et prévenir l’abus : « Ce que la loi permet en raison d’un motif déterminé, cesse d’être permis une fois que ce motif a disparu » (art. 23) ; « Lorsque l’obstacle qui s’oppose à l’exercice d’un droit disparaît, celui-ci reprend sa vigueur » (art. 24). Le confinement doit dès lors être levé dès que la pandémie est endiguée. Il devrait de même être allégé s’il est à craindre qu’une famine généralisée frappe la communauté, car on ne saurait « réparer un dommage au moyen d’un dommage semblable », comme l’énonce le vieux Code (art. 25). Peut-on aller jusqu’à prétendre qu’il est incongru de restreindre la liberté de l’ensemble de la population pour protéger une catégorie bien déterminée (personnes âgées et personnes souffrant de maladies chroniques) ? Si au Québec, comme dans la plupart des pays occidentaux, on semble se diriger vers un déconfinement ciblé permettant une reprise graduelle d’activités par les personnes les moins à risque, en droit musulman cette possibilité est aussi ouverte : « le dommage doit être écarté autant qu’il est possible » et « la nécessité doit s’apprécier à sa juste valeur » préconisent respectivement les l’articles 31 et 22 du medjellé.

En définitive, la souplesse inhérente à ces règles globales de la Charia apporte un démenti aux interprétations rigoristes tenues par certains dignitaires religieux, soucieux avant tout de garder leur emprise sur les fidèles. Dès lors, on ne saurait que saluer cette proclamation heureuse de l’article 39 du vieux Code musulman : « Il est hors de doute que l’application de la loi peut varier avec le temps ». Tout est dit !

*Shauna Van Praagh, David Sandomierski (dir.), Collage sur le droit et le savoir en temps de pandémie, disponible en ligne : https://www.lex-electronica.org/articles/volume-25-2020/volume-25-2020-volume-25-2020-volume-25-2020-vol25-num4/coronavirus-et-droit-musulman/

The text above is an excerpt, translated and presented as part of Muslim Awareness Week 2021 activities, by Samaa Elibyari.


jj