Et si on parlait des obstacles à l’emploi que rencontrent les femmes musulmanes?
Samaa Elibyari
L’autrice est coprésidente du Conseil canadien des femmes musulmanes (chapitre de Montréal).
L’étude de Nadia Hasan, professeure adjointe à l’École d’études sur le genre, la sexualité et les femmes de l’Université de York, selon laquelle 73 % des femmes musulmanes voudraient quitter le Québec a suscité un grand débat. La méthodologie de la recherche, scrutée à la loupe, et médiatisée à grande échelle, met en doute la validité de ce résultat. Au Conseil canadien des femmes musulmanes (CCFM), nous ne sommes pas surprises de voir un tel résultat.
Fondé en 1982, le CCFM a pour mission d’aider les femmes musulmanes québécoises et canadiennes à s’intégrer entièrement dans la société afin qu’elles atteignent leur plein potentiel tout en préservant leurs valeurs confessionnelles. Nous considérons que l’emploi, et ce qu’il implique comme engagement social, est un facteur essentiel pour atteindre cet objectif.
Les femmes musulmanes, en particulier celles qui portent le voile — le hidjab — ont de la difficulté à trouver un emploi, à compétences égales, et ce, dans tous les domaines. Certes, cette situation ne découle pas de la loi 21, la Loi sur la laïcité de l’État, mais cette dernière souffle sur le feu de la discrimination.
À part le manque de possibilités et ses conséquences économiques, cette loi engendre un climat d’affrontements idéologiques qui favorise un repli identitaire et un profond sentiment de marginalisation.
Déjà en 2007, durant notre présentation à la commission Bouchard-Taylor, nous avions démontré que, selon des statistiques canadiennes, les femmes musulmanes étaient parmi les groupes religieux les mieux éduqués — venant en deuxième place, après les femmes juives —, cependant leur taux de chômage était le plus élevé.
Alors que ce fait est bien noté dans le rapport final, aucune mesure concrète n’a été envisagée.
Et depuis, la situation s’est détériorée. Les recherches se multiplient et se succèdent pour arriver toujours au même constat : les femmes musulmanes, immigrantes ou nées au Québec, en particulier celles qui portent le hidjab, rencontrent de multiples obstacles pour se trouver un emploi, et ce, dans toutes les professions.
En outre, la surqualification semble être endémique dans notre communauté. Nous rencontrons fréquemment des femmes ayant une formation de médecin et des ingénieures qui sont cantonnées aux garderies.
Nous signalons les statistiques suivantes, tirées de la recherche intitulée « L’impact de l’immigration sur la dynamique économique du Québec » de Brahim Boudarbat et Gilles Grenier.
1. Comparativement à d’autres provinces du Canada, le Québec affiche les taux de chômage les plus élevés pour les immigrants.
2. À compétence égale, le taux de chômage est nettement plus élevé chez les immigrants que chez les non-immigrants pour chaque domaine d’études observé.
3. L’appartenance à une minorité visible augmente la probabilité qu’une personne se retrouve au chômage, qu’elle soit immigrante ou non.
Dans cette catégorie, les femmes sont les plus désavantagées quant à l’emploi.
Les femmes musulmanes qui immigrent au Québec sont éduquées et ont souvent été actives dans leur pays d’origine (facteur important dans la sélection au niveau fédéral). Pourtant, un mythe persiste. Elles seraient vues comme des femmes qui n’accèdent pas au marché du travail parce qu’elles ne travaillaient pas dans leur société d’origine ou bien qu’elles ne souhaitent pas s’insérer à cause de leur religion.
La loi 21 n’affecte pas seulement les femmes musulmanes. Elle crée un climat de frustration et d’anxiété dans la famille. Des enfants nous demandent « si maman va perdre sa job ».
Nous voudrions partager pleinement les valeurs québécoises, soit l’émancipation des femmes et l’égalité des hommes et des femmes. Malheureusement, pour nous, la loi 21 va à l’encontre de cet idéal par les obstacles qu’elle crée à l’emploi et le sentiment d’exclusion qu’elle engendre. Surprenant qu’on veuille quitter le Québec ?